…032
Certain qu’il ne serait plus longtemps employé par l’ANGE, Cédric Orléans accéléra les procédures de son départ. Ses bagages étaient prêts, ses dossiers en ordre. Il réserva une voiture, jugeant qu’il ne méritait pas de prendre le jet privé de l’Agence, puis réunit tout son personnel aux Renseignements stratégiques, une fois que les quatre nouveaux agents fraîchement cueillis à Alert Bay furent arrivés. Au garde à vous, tous les techniciens et les membres de la sécurité attendaient sagement son dernier discours.
— Comme la plupart d’entre vous le savent déjà, j’ai accepté temporairement la direction de cette base en remplacement d’Andrew Ashby, jusqu’à ce que la mienne soit reconstruite à Montréal. Elle est maintenant prête à me recevoir. Les hauts dirigeants avaient finalement trouvé un nouveau directeur pour la base de Toronto, mais il a connu une fin tragique dans un accident de la route il y a quelques jours. Ils sont donc à la recherche d’un nouveau candidat. Aaron Fletcher assurera l’intérim jusqu’à ce qu’ils vous envoient quelqu’un.
Cédric avait au moins pris le temps de s’informer des noms des nouveaux agents qui se tenaient sagement de chaque côté de lui. Les temps avaient beaucoup changé, car autrefois, on n’aurait jamais assigné quatre recrues à la même installation.
— Depuis la disparition massive d’un tiers de la population mondiale, l’Agence, tout comme un nombre incalculable d’organisations, a dû surmonter d’énormes difficultés. Nous avons perdu l’agent Jeffrey, qui a décidé de se vouer à Dieu.
Les employés hochèrent doucement la tête avec admiration.
— L’agent Chevalier est désormais au service de la division internationale. L’agent McLeod travaille pour sa part à Ottawa, où sa nouvelle mission est de nous tenir informés des dernières prédictions de la Bible. Quant à l’agent Bloom, elle nous a quittés ce matin pour suivre sa voix intérieure. Il ne restait plus que l’agent Loup Blanc, mais il a été muté à Montréal. Pour que vous ne soyez pas sans agents jusqu’à l’arrivée de votre nouveau directeur, Alert Bay nous a généreusement envoyé ses quatre meilleurs élèves. Je vous les présente immédiatement. À ma droite, voici les agents John Platt et Emma Slater, et à ma gauche, les agents Cordell Quinn et Flavie Arnaud. Je compte sur vous pour terminer leur formation.
Aaron Fletcher fut le premier à leur serrer la main. Le reste du personnel leur emboîta le pas. Cédric attendit patiemment que tous les employés leur aient souhaité la bienvenue, puis s’adressa aux nouveaux venus.
— Vous êtes maintenant chez vous, leur dit-il. Monsieur Fletcher travaille ici depuis toujours, alors n’hésitez pas une seule seconde à vous adresser à lui. Il connaît toutes les réponses.
— Il y a encore des trucs que je n’ai pas compris, plaisanta le chef de la sécurité.
Cédric se tourna finalement vers le vétéran.
— Je ne suis pas à l’autre bout du monde et je suis accessible en tout temps, lui dit-il.
— Je ne ferai appel à Montréal que si je suis vraiment en difficulté.
— Merci pour tout, Aaron.
Ils échangèrent une solide poignée de main, puis Cédric quitta la salle comme il y était arrivé, sans faire de bruit. Ses valises avaient déjà été transportées dans la berline. Il descendit donc au garage et y prit les clés que lui tendait Herbert.
— Vous allez nous manquer, monsieur Orléans.
— Je suis certain que vous aimerez tout autant votre prochain directeur. Gardez bien le fort, Herbert.
Fier qu’il se souvienne de son prénom, Herbert lui ouvrit la portière de la voiture. Cédric s’y engouffra, seul. On lui avait proposé d’avoir un chauffeur, mais il n’en avait pas voulu afin de profiter des six heures qui séparaient Toronto de Montréal pour réfléchir. Il mit le moteur en marche, attendit que la rampe s’abaisse et quitta la base.
Plusieurs avenues s’offraient à lui, la première étant évidemment de donner sa démission à Mithri Zachariah lorsqu’elle arriverait à la base de Longueuil. Comme ses besoins étaient restreints, il avait accumulé beaucoup d’argent au cours de sa carrière. Il en aurait sans doute assez pour acheter une petite maison dans une région sauvage où aucun reptilien ne pourrait le retrouver. Il pouvait aussi dire la vérité à la dirigeante de l’Agence, qui ne le croirait probablement pas, puis remettre son sort entre ses mains. Cependant, la dernière fois qu’elle avait dû rendre une sentence à son sujet, il s’était retrouvé en Arctique… Il pouvait aussi filer à Jérusalem pour sauver sa fille et affronter le Prince des Ténèbres en duel au risque d’y laisser sa vie, car il n’avait pas beaucoup d’expérience dans sa peau de reptilien. « Seul un Anantas peut anéantir un autre Anantas… », se rappela-t-il. La créature dorée lui avait donné une semaine pour empêcher Océane de tuer l’homme d’affaires. Il lui faudrait donc agir rapidement.
Il était à mi-chemin de sa destination lorsqu’il entendit aux nouvelles, à la radio, qu’il n’y avait eu un nouvel attentat à la vie de Ben-Adnah. Deux de ses proches avaient également été blessés lors de l’agression, et le seul suspect que détenait la police était une jeune Canadienne qui se trouvait sur les lieux.
— Est-ce qu’il est mort, oui ou non ? s’impatienta Cédric, qui n’avait pas du tout envie d’entendre tous les commentaires des témoins.
Le commentateur annonça deux minutes plus tard, que Ben-Adnah était toujours en vie même s’il avait perdu beaucoup de sang.
— Océane ne sera pas accusée de meurtre, mais de tentative de meurtre, raisonna Cédric. Cela suffira-t-il aux reptiliens dorés pour qu’ils ne s’en prennent pas à elle ?
Il se mit à penser à Andromède, aux quelques semaines de bonheur qu’il avait connues pendant qu’il était avec elle.
— Ma vie est bien tragique, conclut-il au bout d’un moment. Mon père a été assassiné sous mes yeux. Ma mère a disparue sans laisser de traces. Mon frère est l’Antéchrist et mon unique fille est sur le point d’être démembrée par une race de monstres dont je ne sais rien du tout.
Un hélicoptère descendit soudain du ciel devant lui. Cédric écrasa les freins et donna un violent coup de volant qui faillit expédier son véhicule dans un champ. Les roues de la berline crissèrent sur le gravier en bordure de la route, mais Cédric en conserva la maîtrise jusqu’à son arrêt complet. L’aéronef sous lequel il était finalement passé se posa derrière lui. Furieux, le directeur de l’ANGE débarqua de la voiture. Il marcha résolument vers l’hélicoptère, ressentant un impérieux besoin de boire du sang.
Un homme descendit de l’appareil et vint à sa rencontre. Cédric s’immobilisa, reconnaissant les traits d’Aodhan Loup Blanc.
— Vous êtes parti sans moi ! s’exclama ce dernier.
L’hélicoptère reprit alors de l’altitude, faisant lever la poussière sur la route. Les deux hommes protégèrent leurs yeux jusqu’à ce qu’il soit enfin parti.
— Je croyais que tu voulais suivre le prophète, s’étonna Cédric.
— Moi aussi, mais j’ai changé d’idée.
Ils retournèrent à la berline et y montèrent. Il ne servait à rien de rester sur le bord de l’autoroute pour bavarder. Cédric remit la voiture en marche.
— Pourquoi as-tu changé d’idée ? voulut-il savoir.
— Je suis un homme d’action, pas un garde du corps.
— Et ton rôle de berger ?
— C’est peut-être dans un futur lointain. Lorsque monsieur Fletcher m’a dit que la base de Montréal était prête à vous recevoir, je n’allais certainement pas laisser passer la chance de travailler avec vous, surtout qu’apparemment on vous a refilé des recrues.
— Ils sont jeunes et pas très disciplinés.
— Alors, vous aurez besoin de moi.
Pendant une partie du trajet, Aodhan lui résuma les propos de Madden. Ils étaient très rassurants pour ceux qui croyaient en Dieu, mais pour un athée comme lui…
— J’ai aussi appris que Cindy avait donné sa démission, déplora l’Amérindien.
— J’aurais préféré qu’elle reste, mais je n’ai aucune autorité sur les agents fantômes.
— Quelque chose vous tracasse, et ce n’est pas le départ de la femme en rose déguisée en vert.
— Il y a eu un autre attentat à la vie de l’Antéchrist et Océane a été arrêtée.
— Elle a réussi à l’éliminer ? se réjouit Aodhan.
— Non, il est toujours en vie.
— Alors, ce n’est pas elle qui a fait le coup, car elle ne l’aurait pas manqué.
— C’est ce que j’espère, mais je n’aurai des nouvelles vraiment fiables que lorsque j’aurai accès à l’ordinateur central, et pas à celui de Toronto.
Les images troublantes de la vidéo prise dans son bureau lui revinrent en tête.
— Il y a autre chose, n’est-ce pas ? devina Aodhan.
Puisque l’Amérindien croyait déjà à l’existence des reptiliens et qu’il était au courant que son patron en était un, Cédric ne vit pas de mal à lui raconter le curieux épisode dans son bureau. Aodhan l’écouta religieusement, analysant chacun de ses énoncés.
— Je n’ai rien vu dans la base de données sur des créatures de cette couleur, affirma-t-il. Mais j’imagine qu’il y a encore des tas de choses que nous ignorons au sujet de notre planète.
— Le fait n’en demeure pas moins qu’ils sont aussi puissants que les Nagas.
— Sans doute ont-ils des racines communes, conclut Aodhan. Je ferai des recherches là-dessus.
— J’ai demandé aux agents Jonah Marshall, Shane O’Neill et Mélissa Collin une analyse complète de la situation politique, économique et sociale de Montréal.
— Pour les occuper jusqu’à votre arrivée ?
— Pour qu’ils apprennent à faire de la recherche et pour meubler leur esprit avec autre chose que des émissions télévisées de science-fiction.
— Ça promet…
En se rendant à Longueuil, Cédric emprunta l’autoroute 40 toujours en réparation, car on avait dû en modifier la trajectoire après l’explosion qui avait détruit le centre-ville de Montréal. Elle longeait le cratère sur toute sa partie nord pour aller rejoindre l’autoroute 15, puisque la construction du nouveau pont en remplacement du tunnel L.H. Lafontaine, irréparablement inondé, n’était pas encore terminée. Le directeur constata avec satisfaction qu’on avait presque fini le remblaiement du vaste trou. Bientôt, de nouveaux bâtiments s’y dresseraient.
La voiture entra dans le garage de l’immeuble du Port de Mer et attendit que le mur de béton se déplace avant de s’enfoncer dans les entrailles de la terre. Cédric ressentit une curieuse sensation de libération. « Je suis en train de devenir une taupe », constata-t-il. Toute l’équipe de sécurité vint à leur rencontre dans le garage de la base. Glenn Hudson serra joyeusement la main de son patron et lui présenta les dix hommes et femmes qui travaillaient avec lui.
— Je finirai par apprendre tous vos noms, leur promit Cédric. Voici l’agent Aodhan Loup Blanc, qui a été muté de Toronto à Montréal.
Hudson accompagna les deux hommes dans l’ascenseur, puis dans le corridor qui menait aux Renseignements stratégiques.
— Où sont mes jeunes agents ? s’enquit Cédric.
— Ils travaillent sans relâche aux Laboratoires. Nous avons également reçu une communication du directeur d’Alert Bay nous prévenant qu’un grand blessé nous serait confié. Il aurait voulu que nous le prenions auparavant, mais nous n’avions pas encore de médecin à la base. Le docteur Athenaïs Lawson n’arrivant que ce soir, je leur ai demandé de ne procéder à ce transport qu’en fin de journée demain, le temps qu’elle s’installe.
— Merci mille fois, monsieur Hudson.
Le chef de la sécurité le laissa poursuivre son chemin seul avec Aodhan jusqu’aux Renseignements stratégiques. Dès qu’ils en eurent passé la porte, l’Amérindien s’arrêta net, impressionné par la modernité de l’endroit.
— Ils en ont profité pour améliorer le système, lui expliqua Cédric en constatant sa surprise.
— On dirait le pont d’un vaisseau spatial !
— Mes nouveaux agents m’en ont déjà fait la remarque. Familiarise-toi avec l’équipement pendant que je tente de communiquer avec Jérusalem.
— J’allais justement vous le demander.
Il n’y avait dans la salle que deux techniciens, un homme et une femme, mais cela suffisait amplement à la tâche. Ils avaient arrêté leur travail pour observer les deux hommes en complet.
— Je suis Cédric Orléans, se présenta-t-il.
— Le nouveau directeur ! se réjouit la jeune femme. Je m’appelle Pascalina.
— Et moi, Sigtryg.
— Voici l’agent Aodhan Loup Blanc. Je vous le confie. Cédric poursuivit sa route vers son nouveau bureau.
La porte se referma derrière lui et Cédric commença par s’asseoir dans son fauteuil en se demandant s’il y resterait bien longtemps.
— Ordinateur, mettez-moi en contact avec Adielle Tobias de la base de Jérusalem, je vous prie.
— TOUT DE SUITE, MONSIEUR ORLEANS, MAIS JE DOIS VOUS AVISER QU'IL EST TRES TARD EN ISRAEL.
— Essayez tout de même. Si elle ne répond pas, laissez-lui un message lui demandant de me rappeler le plus rapidement possible.
— TRES BIEN, MONSIEUR.
Il se pencha ensuite sur son ordinateur personnel encastré dans sa table de travail et pianota son code d’accès sur le clavier. L’écran s’anima aussitôt. Il demanda à voir tous les articles de journaux de la veille et du jour consacrés à l’attentat dans la villa de Ben-Adnah.
— MADAME TOBIAS N'EST PAS ENCORE RENTREE A LA BASE. ELLE RECEVRA VOTRE MESSAGE A SON ARRIVEE.
— Merci beaucoup, répondit distraitement le directeur, préoccupé par sa lecture.
— PUIS-JE FAIRE AUTRE CHOSE POUR VOUS AIDER ?
Cédric se redressa. C’était la première fois qu’un ordinateur de l’ANGE allait au-delà de ses fonctions d’obéir strictement à ses ordres.
— En ce qui concerne mon message à madame Tobias ?
— POUR TOUT CE QUE VOUS DESIREZ ACCOMPLIR. J'AI ETE CONCUE PAR VINCENT MCLEOD EN MEME TEMPS QUE MARIAMNE, INSTALLEE CHEZ L'AGENT JEFFREY POUR VOUS SERVIR D'ADJOINTE. VOUS POUVEZ M'APPELER CASSIOPEE.
— Je suis enchanté de faire votre connaissance, Cassiopée, répondit Cédric avec une certaine réserve.
Il ne vit pas la nécessité de l’informer que l’autre système électronique avait été pulvérisé en même temps que le loft de Yannick.
— J’AI EFFECTUE UNE RECHERCHE SUR VOTRE PARCOURS, MONSIEUR ORLEANS.
— De votre propre initiative ?
— Est-ce que j’en vaux la peine ?
— VOUS ETES UN HOMME D'UNE GRANDE HONNETETE, FIABLE ET CONSCIENCIEUX.
« Heureusement qu’on a effacé de mon dossier mon séjour en prison », pensa Cédric.
— Avez-vous effectué la même recherche sur mes agents ?
— ILS N'ONT AUCUNE EXPERIENCE SUR LE TERRAIN ET ARRIVENT TOUT DROIT DE LA BASE D'ALERT BAY, OU, JE DOIS VOUS LE PRECISER, ON A PRECIPITE LEUR FORMATION.
— Cassiopée, si quelqu’un tentait de modifier vos systèmes de quelque façon que ce soit, le sauriez-vous ?
— Comme c’est intéressant…
— MON CREATEUR M'A DIT QUE CELA S'APPELAIT L'AUTODEFENSE.
— Cet homme a été un de mes plus grands atouts à Montréal et à Toronto.
— Si vous avez été créée par Vincent, vous connaissez sûrement ses fichiers sur les reptiliens.
— ILS ONT ETE INTEGRES DANS MA MEMOIRE.
— Vous m’avez dit que vous aviez la capacité d’effectuer des recherches, n’est-ce pas ?
— C’EST EXACT. DANS TOUTES LES BASES DE DONNEES EXISTANTES, ET AUSSI A CERTAINS ENDROITS OU JE NE DEVRAIS PAS REGARDER.
Un sourire s’étira enfin sur les lèvres du directeur.
— JE SUIS RAVIE QUE MA PROGRAMMATION VOUS PLAISE, MONSIEUR ORLEANS.
— Vous pouvez me voir ?
— REGARDEZ AU-DESSUS DE VOTRE TETE.
Tout comme dans l’ancien loft de Yannick, Vincent avait fait installer une caméra mobile au plafond.
— LORSQUE VOUS DESIREZ AVOIR UN PEU D'INTIMITE, IL SUFFIRA DE ME LE DEMANDER ET FERMERAI L'OEIL.
— Merci beaucoup.
Avec l’aide de Cassiopée, Cédric fit le tour des dossiers récupérés de l’ancienne base de Montréal et se débarrassa de ceux qui ne pourraient plus jamais être complétés. Il mit les autres à jour et laissa l’ordinateur l’informer de la situation économique, politique et sociale de sa région. « Vincent est un véritable génie », constata une fois de plus Cédric. L’ajout de ce nouveau type d’ordinateurs pensants lui redonna, en un seul après-midi, son entrain habituel.
— MONSIEUR LOUP BLANC DEMANDE A VOUS VOIR, MONSIEUR.
— Avez-vous effectué une vérification sur lui aussi ?
— IL ETAIT LE MEILLEUR AGENT ACTIF DE LA DIVISION DU NOUVEAU-BRUNSWICK, MAIS AUSSI LE PLUS JEUNE. LORSQUE LA DIVISION CANADIENNE A EXIGE QUE CETTE PROVINCE CEDE SES PLUS RECENTES ACQUISITIONS POUR COMBLER DES POSTES DANS LES AUTRES BASES, LE DIRECTEUR DU NOUVEAU-BRUNSWICK L'A LAISSE PARTIR AVEC REGRET. A TORONTO, IL S'EST EGALEMENT DISTINGUE A PLUSIEURS REPRISES SUR LE TERRAIN, MAIS IL Y A TOUT DE MEME UNE TACHE DANS SON DOSSIER.
— L’utilisation des satellites…
— C’EST EXACT. JE ME DOIS DE VOUS DIRE QUE MONSIEUR LOUP BLANC INSISTE VRAIMENT POUR VOUS PARLER.
— Faites-le entrer.
Aodhan franchit le seuil du bureau avec un sourire qui en disait long sur ce qu’il pensait.
— Cette base est hallucinante ! lança-t-il, enthousiaste. Elle a besoin d’un minimum de techniciens pour opérer. Étant donné que nous sommes à court de personnel depuis le Ravissement, on devrait installer ces systèmes partout.
— Le problème, c’est que nous sommes aussi à court de fournisseurs. Que puis-je faire pour toi, Aodhan ?
— Je suis venu vous dire que nous sommes prêts à fonctionner, et j’avoue que je voulais surtout voir votre bureau.
— As-tu jeté un coup d’œil au travail de nos jeunes agents ?
— Je suis allé me présenter à eux, évidemment, et ils m’ont dit qu’ils étaient fiers de travailler pour le capitaine Kirk.
— J’aimerais que tu leur inculques un peu plus de respect, soupira Cédric.
— Avec plaisir.
— MADAME ZACHARIAH DEMANDE L'AUTORISATION D'ENTRER DANS LE GARAGE SOUTERRAIN, annonça Cassiopée.
— Laissez-la entrer.
Cédric adressa à Aodhan un regard suppliant.
— J’ai une foule d’autres choses à faire, assura l’Amérindien en tournant les talons.
La porte glissa devant lui. Cédric ne le vit même pas sortir, car il venait de sombrer dans ses pensées. L’ordinateur détecta aussitôt son changement d’humeur.
— PUIS-JE VOUS AIDER A PREPARER CETTE ENTREVUE, MONSIEUR ORLEANS ?
— Pas vraiment, mais merci, Cassiopée.
Elle le laissa donc tranquille jusqu’à l’arrivée de la grande dame de l’ANGE, dont elle signala la présence à la porte. Cédric la reçut dans son bureau, loin des oreilles des techniciens et des agents. Curieusement, la présence invisible de l’ordinateur pensant le rassurait.
— Bonjour, Cédric, le salua Mithri en allant directement s’asseoir dans l’une des confortables bergères disposées devant la table de travail du directeur. Je n’ai pas fait ce voyage pour rien, alors je n’irai pas par quatre chemins. Je veux savoir si ce que j’ai vu sur cet extrait de film est vrai.
« C’est ici que je scelle mon destin », comprit Cédric.
— Les choses se sont passées ainsi, affirma-t-il d’une voix mal assurée.
— Que tu te sois fait attaquer par une créature inconnue, je peux le concevoir, mais que ai sois un reptilien…
Cédric rassembla son courage et se métamorphosa devant elle. À son grand étonnement, Mithri n’eut aucune réaction d’effroi ou de dégoût. Elle se contenta d’examiner son directeur avec curiosité.
— Depuis quand le sais-tu ?
— Je suis né ainsi, avoua Cédric en reprenant sa forme humaine, et je n’en suis pas fier. En fait, j’ai toujours cherché à nier mes origines.
— De quelle race es-tu ?
C’était la question qu’il avait le plus redoutée.
— Je suis un Anantas, même si toute ma vie j’ai cru que j’étais un Neterou comme mon père. En fait, je ne suis même pas certain qu’il ait été mon véritable père. J’ai appris tout récemment que ma mère était une Anantas.
— J’ai relu les recherches de Vincent au cours de mon vol. Les Neterou sont tout en bas de la hiérarchie reptilienne, c’est exact ?
Cédric se contenta de hocher la tête.
— Et les Anantas sont tout en haut avec les Dracos, n’est-ce pas ? continua-t-elle de l’interroger.
— Ainsi que les Nagas et sans doute aussi la race de cette créature dorée qui m’a assailli.
— Vincent prétend également que l’Antéchrist est un Anantas.
— Je ne suis pas un expert en la matière, mais c’est ce que j’ai aussi entendu.
— Comment acceptes-tu le fait que le futur oppresseur du monde soit de la même race que toi ?
— Très mal, en fait, car d’une part, je n’ai aucune de ses tendances destructrices, et d’autre part, parce que seul un Anantas peut en détruire un autre. Cela place un très lourd fardeau sur mes épaules de directeur régional.
— Si je comprends bien ce que tu me dis, tu serais en mesure de détruire ce monstre ?
— Le contraire pourrait aussi être vrai, surtout s’il a l’habitude de tuer. Mithri, vous devez comprendre que je déteste ce que je suis et que je n’ai jamais voulu apprendre à me métamorphoser en reptilien. Cette transformation a commencé à s’opérer d’elle-même lorsque je me suis trouvé en grand danger. Je suis maintenant capable de changer d’apparence à volonté, mais je ne maîtrise pas encore ce nouveau corps.
— Tu ne deviendrais donc une arme contre Satan que si nous te fournissons un entraînement adéquat.
— Je préférerais vraiment que cela ne soit qu’en dernier recours. L’agression ne fait pas partie de ma personnalité. Je suis plutôt pacifiste.
— Qu’allons-nous faire de toi, maintenant ? soupira la grande dame.
— Les règlements de l’ANGE indiquent que tout agent qui a été embauché par l’Agence sous de fausses représentations doit être congédié. Je pourrais aussi vous remettre ma démission.
— Je préférerais que nous tenions cette affaire confidentielle et que tu conserves ton poste à Montréal jusqu’à ce que la division internationale ait besoin de toi.
Cette décision laissa Cédric pantois.
— Nous avons tous nos petits secrets, poursuivit Mithri en faisant rouler entre ses doigts la petite breloque qui pendait à son cou.
— J’imagine que mes chances de savoir un jour le vôtre viennent de s’éteindre.
— Je ne crois pas, non. Je te le révélerai en temps et lieu.
Faisant fi de tout ce qu’elle venait d’apprendre, Mithri voulut alors savoir quelles seraient les premières décisions de Cédric, maintenant qu’il était de retour à son poste. Encore ébranlé, il lui fit un rapport sommaire du climat d’instabilité qui régnait à Montréal. Ils ne reparlèrent plus de reptiliens ou de congédiement.